Alain Besse
Cet article a paru dans la Revue historique du Mandement de Bex, No XLII, 2009. (Plus d'infos tout à la fin). Il est suivi d’un développement publié en 2010.
NB Pour la commodité les notes sont reportées au bas de l'article.
Début juillet 2008, lors d’une visite des fouilles archéologiques en cours à Massongex, le jeune bellerin Estéban Piaget, 8 ans, a eu la main heureuse. Il ramassa sur les déblais lavés par la pluie un agrégat constitué de 5 monnaies romaines en argent. Des antoniniens alignés en pile ou rouleau (à l’instar du trésor de Bex-Sous-Vent) et collés les uns aux autres depuis l’Antiquité.
La trouvaille provient du site antique de Massongex/Tarnaiae (1). Son contexte archéologique demeure bien maigre. Le trésor (2) (complet ou fragmenté) provient de la couche de terre superficielle, remuée par les cultures, qui couvre les ruines. Le soigneux décapage du niveau d’apparition des vestiges romains entrepris à la pelle mécanique, sous la surveillance des archéologues, l’amena enrobé de terre à la surface du déblai. Quelques pluies suffirent à le remettre au jour. Le contrôle des déblais au détecteur de métaux n’a pas livré d’autres monnaies ou bijoux. Faute de moyens, le secteur nord-ouest qui révéla la trouvaille monétaire n’a pas été fouillé et fut remblayé. Un petit sondage découvrit la présence sous-jacente des ruines d’une salle romaine dotée d’un système de chauffage par hypocauste (3).
Dans l’Antiquité, ces monnaies furent altérées par une très forte chaleur (4) (feu, incendie, foudre ?) et se soudèrent partiellement entre elles. Puis elles disparurent et s’oxydèrent jusqu’à ce qu’Estéban Piaget les trouve. Dans l’état (5), nous identifions une monnaie de Philippe I (244-249) ; une de Trajan Dèce (249-251) et une de Gallien (253-268). L’antoninien de Gallien fut frappé en Gaule, à Trèves ou Cologne en 257-258 après J.-C. Les deux monnaies restantes ne sont pas identifiables sans procéder à la séparation des pièces. Leurs alliages similaires aux autres monnaies de la trouvaille, riches en argent, militent en faveur d’une datation haute. Car, passé l’année 260, Gallien fit émettre ses antoniniens dans un alliage de billon très appauvri en argent et facilement reconnaissable. Soyons prudents toutefois, car l’usurpateur Postume (6) poursuivra l’émission d’antoniniens de bon aloi. Nous retenons que le terminus post-quem des émissions monétaires identifiées de la trouvaille de Massongex remonte à 257-258 après J.-C. Cette date est fort proche de 259 à juin/juillet 260 après J.-C., le terminus post-quem du trésor voisin de Bex-Sous-Vent (trouvé de l’autre côté du Rhône, à l’est, à moins de 830 mètres à vol d’oiseau). Ainsi, le petit trésor d’antoniniens de Massongex pourrait peut-être aussi se rattacher à la vague de dépôts résultants des invasions alamanes de l’été 260. Il s’inscrit en tous les cas au rang des nouvelles découvertes archéologiques qu’Yves Mühlemann appelait de ses vœux dans sa conclusion sur le trésor de Bex-Sous-Vent.
Ce rebond mérite une étude plus approfondie. Nous vous proposerons ses résultats dans la revue 2010.
Notes :
1. Pour un état des découvertes faites à Massongex, consultez l’article Massongex-Tarnaiae à l’époque antique de François Wiblé dans la Revue historique du Mandement de Bex, 1994, pages 34 à 57.
2. En archéologie, on nomme trésor une découverte comportant au moins deux monnaies qui étaient ensemble lorsqu’elles ont été mises au jour.
3. Ingénieux système de chauffage de chambres entières par la circulation d’air chaud sous le sol et dans les parois.
4. Les déformations, des boursouflures et des cratères témoignent que la chaleur d’au moins 800° C. mena le métal a un état pâteux, atteignant même sur quelques bords la liquéfaction.
5. Rappelons que les monnaies de la trouvaille n’ont pas été séparées et qu’elles nous sont parvenues passablement altérées par le feu. Nous remercions M. Mühlemann d’avoir confirmé notre identification pour Gallien et de nous avoir apporté les reconnaissances de la pièce de Philippe I et de celle de Trajan Dèce.
6. Postume était avec le futur empereur Aurélien un des principaux lieutenants de l’empereur Gallien. Il s’illustra sur la frontière du Rhin et fut proclamé par ses troupes premier « empereur des Gaules ». Il régna de juin/juillet 260 à juin 269. L’« Empire des Gaules » subsista jusqu’en février/mars ou en été 274.
NB consultez les sommaires des publications de l'Association du Mandement de Bex sur le site : <www.mandementdebex.ch>
Des exemplaires de la revue 2009 peuvent-être commandés directement à l'auteur à l'adresse : <ciel&terre@bluewin.ch> au prix de 10 CHF + port.
Histoires de sous : le trésor romain de Massongex (VS)
Alain Besse
Cet article a paru dans la Revue historique du Mandement de Bex, No XLIII,
2010. (Plus d'infos tout à la fin). Il développe l'article publié en
2009.
NB Pour la commodité les notes sont reportées au
bas de l'article.
L’article Le
trésor d’antoniniens de Massongex (VS), une étonnante découverte édité l’an
passé dans notre revue n° XLII, aux pages 53 et 54, annonçait la trouvaille
monétaire et son contexte. Ce petit trésor romain, conservé en mains privées,
n’offrirait qu’un faible intérêt s’il n’était pas étudié et publié en lien avec
le lieu de sa découverte. Les monnaies sont trop endommagées pour présenter une
cotation marchande. Les valeurs intellectuelle, patrimoniale et historique
constituent toute l’importance de la trouvaille.
Les monnaies du
trésor datent de l’époque romaine, du Bas-Empire, durant la période des
Généraux, lors de l’Anarchie Militaire ; connue aussi sous le nom de la
période des Trente Tyrans. Ce sont des antoniniens (1) (valant deux
deniers chacun) d’un alliage encore (2) riche en argent, au titre
d’environ 30 à 40% dans du cuivre.
Durant
l’Antiquité, ces monnaies furent détériorées par une chaleur supérieure à 800°
C., les laissant déformées, partiellement fondues et soudées entre elles.
L’examen des rides, des bulles d’air, des affaissements et des accumulations de
métal fondu indiquerait que les antoniniens étaient empilés (3) les uns
sur les autres, en biais. La monnaie n° 1 dessus et la n° 5 tout dessous.
L’agglomérat monétaire ne présente pas de cassure récente. Le fragment de
monnaie montre une déchirure survenue avec force (un coup de charrue ?),
qui pourrait avoir été facilitée par la présence d’autres pièces dans la partie
emportée. La trouvaille témoigne du contenu probablement incomplet d’une bourse
ou d’un trésor.
Documentation
et séparation des monnaies
Nous avons choisi
de séparer les monnaies de la trouvaille pour en savoir le plus possible sur
leurs identifications et d’établir le terminus post quem chronologique
des émissions monétaires, dans le dessein d’évaluer son lien avec les invasions
alamanes de la dernière moitié du IIIe siècle après J.-C. La connaissance
générale justifie le choix d’une intervention irréversible. L’agglomérat
monétaire a été documenté, photographié et moulé.
Quatre vues de l’agglomérat monétaire.
Quatre vues de l’agglomérat monétaire.
La séparation des
pièces fut une opération délicate. Les bains et les cales de bois n’ont pas
suffi. Les monnaies étaient, dans les bords, partiellement soudées entre elles.
Il a fallu trancher les liens sous une loupe binoculaire avec des fraises
métalliques de 0.2 et 0.3 mm de diamètre montées sur une fraiseuse dentaire.
Composition du
trésor
N°1 : fragment de
pièce, indéterminée ou Gallien, revers (la Concorde des armées) placé du côté
supérieur.
N° 2 : Gallien,
avers (au bouclier) placé du côté supérieur.
N° 3 : Trajan Dèce,
revers (l’Abondance) placé du côté supérieur.
N° 4 : Gallien,
avers placé du côté supérieur.
N° 5 : Philippe Ier l’Arabe, avers placé du côté supérieur.
Description chronologique (4)
Antoninien de
Philippe Ier, 244-249
Position n° 5
dans le trésor.
Atelier de Rome, 3e émission ; frappe des années 245 à 247. RIC IV/3, 68. 2b (5).
AR ; 4.61 g ; 23.6-21.6 mm ; 360°.
Atelier de Rome, 3e émission ; frappe des années 245 à 247. RIC IV/3, 68. 2b (5).
AR ; 4.61 g ; 23.6-21.6 mm ; 360°.
Avers : [IMP
M IVL PHILIPPVS] AVG. "Imperator Marcus Iulius Philippus Augustus",
(l’empereur Marc Jules Philippe auguste). Buste à la couronne radiée (7), avec
cuirasse et paludamentum de Philippe Ier, à droite.
Revers : [P M TR P II COS] P P. "Pontifex Maximus Tribunicia Potestate secundum Consul Pater Patriae", (grand Pontife revêtu de la deuxième Puissance Tribunitienne, Consul, Père de la Patrie). Philippe Ier, vêtu de la toge, assis à gauche sur une chaise curule, tenant un globe de la main droite et un sceptre court de la gauche.Ce revers correspond à un renouveau typologique nous montrant l'empereur comme un magistrat (consul) marquant un retour à la politique traditionnelle de Rome. Philippe essaya de gouverner en bonne intelligence avec le Sénat. Une pièce du même type se trouve dans le trésor de Bex-Sous-Vent (8).
Antoninien de Trajan Dèce, 249-251
Position n° 3 dans le trésor.
Atelier de Rome, 2e série. RIC IV/3, 121. 10b.
AR ; 3.49 g ; 23.4-22.3 mm ; 180°.
Avers : IMP C M Q TRAIAN[VS DECIVS AVG]. “Imperator Cæsar Messius Quintus Traianus Decius Augustus”, (l’empereur césar Messius Quintus Trajan Dèce auguste). Buste à la couronne radiée et cuirassé de Trajan Dèce à droite.
Revers :
ABVND[ANTIA AVG]. “Abundantia Augusti”, (l’Abondance de l’auguste).
Personnification de l’Abondance drapée debout à droite, déversant le contenu
d’une corne d’abondance qu’elle tient des deux mains.
Antoninien de
Gallien, 253-268
Position n° 4
dans le trésor.
Atelier de Rome, 2e émission ; frappe de l’année 254. RIC V/1, 80. 132 (9).
AR ; 2.71g ; 22.6-20.4 mm ; 360°.
Atelier de Rome, 2e émission ; frappe de l’année 254. RIC V/1, 80. 132 (9).
AR ; 2.71g ; 22.6-20.4 mm ; 360°.
Avers : [IMP C] P LIC G[AL]LIENVS A[V]G. “Imperator Caesar Publius Licinius Gallienus Augustus”, (l’empereur césar Publius Licinius Gallien auguste). Buste à la couronne radiée, avec cuirasse de Gallien à droite.
Revers :
[C]O[NCO]RDI[A EXERC]IT. “Concordia Exercitum”, (la Concorde des armées) dans
le sens vieilli de l’entente, de l’union, la fraternité. Personnification de la
Concorde debout à gauche, tenant une patère de la main droite et une double
corne d’abondance de la main gauche.
Identification prudente Antoninien empereur et atelier indéterminés, 238-260
Position n° 1
dans le trésor.
Atelier indéterminé (11). RIC IV/3-V/1, ind.AR ; 0.99 g ; 19.9-8.9 mm ; 0°; fragment brisé de longue date.
Atelier indéterminé (11). RIC IV/3-V/1, ind.AR ; 0.99 g ; 19.9-8.9 mm ; 0°; fragment brisé de longue date.
La qualité de
l’alliage, encore riche en argent, exclut une production postérieure à l’an 260
et la taille des lettres permet d’écarter une attribution aux premières
émissions de l’usurpateur Postume (260-269), fondateur à Cologne de l’empire
sécessionniste romain des Gaules.
Proposition
d’identification (12) Antoninien de Gallien (13), 253-260
Position n° 1
dans le trésor.
Atelier de Rome, 2e émission ; frappe de l’année 254. RIC V/1, 80. 132.
AR ; 0.99 g ; 19.9-8.9 mm ; 180° ; fragment, brisé de longue date.
Atelier de Rome, 2e émission ; frappe de l’année 254. RIC V/1, 80. 132.
AR ; 0.99 g ; 19.9-8.9 mm ; 180° ; fragment, brisé de longue date.
Avers : IMP C P LIC [GALLIENVS AVG]. “Imperator Caesar Publius Licinius Gallienus Augustus”, (l’empereur césar Publius Licinius Gallien auguste). Buste à la couronne radiée, avec cuirasse de Gallien à droite. L’épaule droite est partiellement conservée. La tranche de la cuirasse est soulignée d’une rangée de quatre grènetis (15) (ou perles), plus marqués et ronds que le cercle de grènetis entourant la légende. Les deux extrémités du lacet noué placés au bas de la couronne radiée (pour sa fermeture) sont conservées.
Revers : CONCORD[IA EXERCIT]. “Concordia Exercitum”, (la Concorde des armées) dans le
sens vieilli de l’entente, de l’union, la fraternité. Personnification de la
Concorde debout à gauche, tenant une patère de la main droite et une double
corne d’abondance de la main gauche. La patère et l’avant bras de la Concorde
sont conservés.
Cette pièce
propose une iconographie et des légendes similaires au n° 4 du trésor. Le coin
d’avers diffère avec une légende plus fine et la présence des grènetis à
l’épaule, sous la cuirasse. Le coin de revers paraît similaire (disposition de
la légende, de la patère et taille des lettres). Notre attribution correspond
bien aux flans encore de bon aloi de cette période mais, d’un format réduit en
poids, en épaisseur et du diamètre par les dévaluations.
Antoninien de
Gallien, 253-268
Position n° 2
dans le trésor.
Atelier en Gaule à Trèves ou Cologne, 1ère période, 4e émission, phase a ; frappe des années 257-258. RIC V/1, 70. 18 ; Elmer, 20. 40 (16).
Atelier en Gaule à Trèves ou Cologne, 1ère période, 4e émission, phase a ; frappe des années 257-258. RIC V/1, 70. 18 ; Elmer, 20. 40 (16).
AR ; 2.48
g ; 21-19.3 mm ; 180°.
Avers : GALLI[EN]VS · P · F · AVG. “Gallienus Pius Felix Augustus”, (Gallien pieux et heureux auguste). Buste à la couronne radiée et cuirassé de Gallien à gauche, avec un bouclier couvrant l’épaule gauche et tenant une haste (lance) sur l'épaule droite.
Revers : [GERMA]NICVS · MA[X V]. “Germanicus Maximus quintum”, (vainqueur des Germains
pour la cinquième fois). Trophée d'armes ennemies fichées sur un poteau
cruciforme, comprenant une cuirasse, un casque, quatre boucliers, quatre
hastes, avec au pied un captif nu assis et enchaîné de chaque côté.
Avers et revers
commémorent les victoires remportées par Gallien sur le limes rhéno-danubien
qui justifient la cinquième acclamation impériale pour cette nouvelle victoire
sur les Germains.
Brèves
biographies (17) des empereurs représentés
Après
l’assassinat de l’empereur Alexandre Sévère, le 18 mars 235, l’Empire romain
sombra dans une guerre civile de cinquante ans, aujourd’hui nommée la crise du
IIIe siècle. Les souverains ne parviennent pas à asseoir leur autorité, de
nombreux usurpateurs se proclament augustes et l’Empire est en proie aux
invasions barbares.
Philippe Ier est né vers 204 après J.-C. à Bostra en Trachonitis, province d'Arabie (au
sud de la Syrie), d'où son surnom. Il est nommé préfet du Prétoire après la
disparition de Timésithée, le beau-père de Gordien III, en 243. Philippe fait
ou laisse assassiner Gordien au début 244 puis s'empresse de conclure une paix
infamante avec les Sassanides. Il mène une brillante campagne contre les Quades
et les Carpes qui avaient envahi la Dacie (Roumanie). Le grand événement de son
règne est la commémoration du millénaire de Rome en 247-48. Philippe charge
Dèce, commandant des légions de Pannonie (18), de rétablir l'ordre sur le
Danube. Les troupes proclament Dèce auguste en juin ou juillet 249. Philippe
trouve la mort près de Vérone, en combattant les troupes de Dèce (monnaie n° 3
du trésor), en septembre 249.
Dèce est né en 201 en Pannonie inférieure (19). Après une brillante carrière
qui lui ouvrit les portes du Sénat, il fut gouverneur de Mésie inférieure
(20) sous Alexandre Sévère. À la fin du règne de Philippe Ier, vainqueur
sur le Danube de hordes barbares, il est proclamé auguste malgré son refus. Il
l'écrit à Philippe qui ne le croit pas et marche contre lui. Philippe Ier et son
fils Philippe II trouvent la mort dans la bataille qui a lieu près de Vérone.
Dèce joint à son nom celui, prestigieux, de Trajan. Après un passage à Rome,
Dèce se rend sur le limes danubien qui, déserté, a laissé filtrer des Goths qui
ravagent les provinces danubiennes dont l'empereur est originaire. Il ne
parvient pas à endiguer l'invasion. Il entame une persécution contre les
chrétiens en 250 (Polyeucte, Corneille). En 251, il se porte sur le limes, bat
les Goths, mais son fils Herennius y tombe. Il trouve lui-même la mort en
voulant le venger lors de la bataille d’Abrittus (actuelle Razgrad, en
Bulgarie). Dèce est le premier empereur à tomber au combat contre les Barbares.
Valérien Ier (21) est né en 193, militaire de formation, il fut un lieutenant de Dèce. En
253, alors en poste en Germanie, l'empereur Trébonien Galle le charge de
réprimer l'usurpation du général Émilien. Ses troupes l’acclament empereur à la
suite d'une victoire contre les Goths, revanche symbolique du désastre
d'Abrittus. Valérien arrive trop tard : avant d'avoir atteint
l'Italie, il apprend que l'empereur Trébonien et son fils Volusien ont été
assassinés par leurs hommes, et qu’Émilien a ceint la pourpre impériale.
Valérien marche sur la ville de Spolète où s'était regroupée l'armée d'Émilien.
Avant la bataille, l'empereur Émilien est à son tour saisi et exécuté par ses
propres soldats, qui se rallient à Valérien. Le vieux sénateur (il a alors près
de soixante ans) devient ainsi maître incontesté de l’Empire. Valérien Ier
(253-260) partage le pouvoir avec son fils Gallien qui prend en charge de
l'Occident, tandis qu’il se rend en Orient. Son fils, né vers 218, lui
succèdera comme unique empereur de 260 à 268.
À Martigny,
Valérien (serait-il passé par Martigny ?) ordonne la construction d’un
nymphée et d’un aqueduc. L’inscription qui mentionne cette intervention
impériale date de l’automne 253 (22).
Gallien est le dernier aristocrate issu d’une famille sénatoriale romaine à
parvenir à l’Empire. Il remporte une brillante victoire sur les Germains et
consolide le limes rhéno-danubien. Après la capture de Valérien en Orient,
Gallien doit faire face sur tous les fronts. L'empire éclate. La Gaule,
l'Espagne, la Germanie et la Bretagne font sécession avec Postume qui a d'abord
éliminé Salonin, le fils de Gallien. En Orient, c'est l'usurpation de Macrien
et de Quiétus. Gallien va passer les huit dernières années de sa vie à essayer
de recoller les morceaux de cet empire. Finalement, il meurt assassiné par ses
officiers en septembre 268 devant les murs de Milan alors qu'il assiégeait
Auréolus, le maître de la Cavalerie, qui s'était révolté.
Proclamé
empereur, son successeur (non représenté dans le trésor) Claude II le
Gothique, paraît s'en offusquer et punit les coupables, bien qu'il ait sans
doute appartenu à la conspiration qui l’a éliminé. Ayant promis la vie sauve à
Auréolus après la mort de Gallien, Claude le laisse néanmoins massacrer par ses
troupes après la reddition de Milan. En 269, le nouvel empereur démontre ses
qualités de stratège en écrasant près du lac de Garde des Alamans qui menaient
des incursions en Italie du Nord. Fort de ce succès, il se rend ensuite à Rome
pour recevoir l'investiture du Sénat de la Ville …
Le nom de
l’empereur Gallien figure sur les fragments d’une inscription valaisanne
monumentale, datée vers 259-260, retrouvée à Saint-Léonard qui relate une
victoire militaire.
L’hypothèse de
« la part du feu » lors des incursions barbares
Les grandes
incursions des tribus alamanes de la dernière moitié du troisième siècle ont
ravagé le Plateau suisse et paraissent avoir atteint le Chablais. Le trésor
romain voisin de Bex-sous-Vent (23) constitue un témoin crédible des invasions
alamanes de l’été 260. À Saint-Maurice, l’inscription funéraire, datée entre
267 et 326 (24), de Iunius Marinus, ex ducenarius, ancien haut officier
de la garde rapprochée de l’empereur, tué au combat « là », contre
des ennemis « réguliers » (Alamans ?) du pays (l’Empire romain),
témoigne d’un conflit armé. Vers 275-277 (25), les envahisseurs auraient été
arrêtés à Saint-Maurice, verrou que l’on peut aisément bloquer, procurant ainsi
au Valais quelques décennies de tranquillité. Il en va autrement en aval de
Saint-Maurice, où l’abandon partiel du site de Massongex au cours de la seconde
moitié du IIIe siècle est peut-être dû à ces troubles (26).
L’agglomérat de
monnaies apparut dans les couches superficielles de l’angle nord-est de la
surface fouillée en 2008 pour l’édification de l’immeuble La Loénaz C (27). Les
ruines des fondations des constructions romaines mises au jour — implantées
depuis le milieu du Ier siècle — ne témoignent pas d’une destruction violente
par le feu. Pour la première fois à Massongex, cette fouille révèle des
vestiges datables du IVe siècle, preuve que Massongex continue à être occupé
au moins partiellement dans l’Antiquité tardive.
Pendant
l’Antiquité, peut-être durant l’été 260, dans des circonstances inconnues, ces
monnaies empilées furent altérées par une très forte chaleur (< 800° C). Rien
n’assure l’enfouissement volontaire de ce trésor de circulation, il peut avoir
disparu accidentellement dans un incendie ou dans un feu. L’hypothèse d’une
offrande funéraire lors d’une crémation (obole à Charon) parait improbable
compte tenu de la somme relativement importante en regard des oboles
habituelles et que le trésor fut retrouvé dans un contexte d’habitat. À cette
date, la pratique de l’incinération des défunts romains se perd dans nos
régions. Les monnaies ont aussi pu souffrir du feu dans un second temps.
Le petit trésor
de Massongex apporte un nouvel élément au dossier local de la Crise du IIIe
siècle, sans pour autant matérialiser une pièce à conviction déterminante, car
les conditions de son altération par le feu et son contexte d’enfouissement ou
de perte demeurent inconnus.
Conclusion
Nous pouvons retenir
l’hypothèse que ces monnaies ont pu être enfouies et/ou endommagées lors d’un
événement survenu peu après 257-258 après J.-C (28), le terminus post quem établi des émissions monétaires du trésor, sans
plus de précisions sur ses circonstances.
Un citoyen romain en fuite
aurait-il dû aussi se résoudre à « faire la part du feu » (29) de sa bourse pour se sauver lors
des incursions alamanes de l’été
260 ? La question demeure, sans réponse.
Enfoui ou perdu et, endommagé — peut-être
en été 260 après J.-C. — ; trouvé un été, quelques 1748 ans plus tard par
un enfant bellerin, le trésor de Massongex nous remémore quelques acteurs et faits d’une période troublée de
l’histoire de l’Empire romain, celle de la Crise du IIIe siècle, qui concerna aussi nos contrées.
Notes :
1. Monnaie d’argent
romaine. Introduite en 215, à côté du denier, par l’empereur Caracalla, Marcus
Aurelius Antoninus (d’où le nom d’ « antoninien »).
2. Au début
l’antoninien titre à 50% d’argent. Sous Philippe Ier le titre chute
progressivement vers 40 %, puis de 40 à 30 % sous Gallien avant 260 et de 15 à
1% sous Gallien de 260 à 268.
3. Ou, rangés dans des
gaines de cuir formant des rouleaux, comme pour le trésor de Bex-Sous-Vent.
4. Nous remercions M.
Y. Mühlemann pour la détermination des types monétaires.
5. H. MATTINGLY, E. A. SYDENHAM, C. H. V.
SUTHERLAND, Gordian III to Uranius
Antoninus, The Roman Imperial Coinage, IV, 3, Londres, 1949 [= RIC, IV, 3].
6. Les exemples
illustrés correspondent aux types du trésor. Il existe de nombreux coins et
variantes, aussi ces illustrations sont livrées à titre informatif.
7. La couronne radiée
symbolise le soleil et représente la marque d’une valeur double (deux deniers).
8. Y. MUHLEMANN, La trouvaille monétaire de Bex-Sous-Vent
(VD), paru
en 2008 dans le 20e bulletin annuel (2007) de l’Association des Amis
du Musée monétaire cantonal vaudois. Pièce n° 31.
9. P. H. WEBB, Valerian to Florian, The Roman Imperial Coinage, V, 1, Londres,
1927 [= RIC, V/1].
10. La pièce de Massongex
est moins élaborée dans ses gravures, la Concorde est plus proche graphiquement
de la représentation jointe, provenant d’un autre type (légende différente).
11. À titre indicatif, cet antoninien pourrait bien
provenir de l’atelier de Rome ou de Viminacium la capitale de
la Mésie supérieure, sur les rives du Danube, près de l’actuelle Kostolac en
Serbie.
12. Établie par A.
Besse après avoir supprimé des concrétions.
13. Une attribution à
son père Valérien Ier n’est pas totalement à exclure. Il existe des
pièces au revers identique avec à l’avers, la légende IMP CP LIC VALERIANVS
AVG. (RIC V/1, 81).
14. Pour autant que
l’on puisse encore en juger l’avers est assez similaire au témoin retrouvé à
Massongex, avec ses grènetis sur l’épaule et les lacets de la couronne. À la
légende du revers la lettre D est placée plus haut que sur l’exemple, à peu
près comme le montre le 2e détail.
15. Un détail rare,
gravé sur certains coins de ce type.
16.
G. ELMER, Die Münzprägung der gallischen Kaiser in Köln, Trier und Mailand,
in BJ 146 (1941), p. 1-106.
17. Les dates varient
selon les auteurs et l’avance des recherches. Nous avons choisis les plus
communément admises.
18. Ancienne région de
l’Europe centrale, comprenant l’actuelle Hongrie, une partie de la Croatie et
de la Serbie.
19.
Comprenait une partie de la Hongrie actuelle, ainsi que de la Serbie, de la Croatie et de la Bosnie-Herzégovine.
20. L’actuelle Bulgarie
septentrionale.
21. L’attribution de
la monnaie fragmentaire à Valérien Ier est une hypothèse qu’il
convient, dans le doute, de partager avec une attribution à son fils Gallien,
durant la période de règne commun (253-260).
22. F. WIBLE, Martigny-la-Romaine, Fondation Pierre Gianadda, 2008, p. 33.
23. Y. MUHLEMANN, A. BESSE, La méconnue trouvaille monétaire romaine de
Bex-Sous-Vent (VD) édité l’an passé dans notre revue n° XLII, aux
pages 8 à 12.
24. Les avis des chercheurs sur la datation de cette
inscription divergent entre avant 265 et entre 270 et 326.
Selon Y. Mühlemann (supra, note 7), le rang de vir egregius n’est décerné aux fonctionnaires impériaux qu’à partir
de 267 au plus tôt. L’inscription témoigne d’une autre incursion, plus récente
que les troubles de l’été 260. D’autres auteurs, la rattachent aux événements
de 275-77.
25. Vallis Poenina, Le Valais à l’époque
romaine. Catalogue de l’exposition, Musée cantonaux du Valais, Sion 1998.
26. Annales valaisannes 2000-2001, Histoire du Valais, volume 1, p. 115.
27. Annuaire d’Archéologie Suisse, volume
92, 2009, p. 303.
28. Ou, jusqu’en été
260, si l’on considère l’estimation chronologique maximale de la monnaie
fragmentaire.
29. Accepter de perdre ce qui ne peut plus être sauvé
pour préserver le reste.
Des exemplaires de la revue 2010 peuvent être commandés directement à
l'auteur à l'adresse : <ciel&terre@bluewin.ch> au prix de 10 CHF +
port.
NB consultez les sommaires des publications de l'Association du Mandement
de Bex sur le site : <www.mandementdebex.ch>
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